Chap. 2 : Ménilmontant
Je suis né le 12 septembre 1889 en haut de la colline du quartier rue du retrait au numéro 29. De ma toute première enfance passée dans cette rue je n'ai aucune souvenance. Non... Pas la moindre... Je ne suis entré dans la vie avec mes yeux et mes oreilles que lorsque je me suis aperçu que j'étais le plus petit d'un groupe de personnes qui comprenait ma mère, mon père, mes deux frères et moi et que ce petit assemblage d'êtres vivait les uns sur les autres dans un minuscule logement de deux pièces au 15 de la rue Julien Lacroix, toujours à Ménilmontant. La rue Julien Lacroix est une longue rue assez étroite qui relie la rue de Ménilmontant à la rue de Belleville.
Belleville et Ménilmontant appartiennent au même arrondissement et sont donc des genres de sœurs siamoises, collées l'une à l'autre. Un côté de la rue de Belleville appartient au 20e arrondissement, le trottoir d'en face termine le 19e; le milieu de la rue en est la séparation.
Il y a pourtant de grandes différences dans la vie et dans la personnalité des deux populations.
Belleville - grouillante, populacière, semble comme une capitale des faubourgs de Paris. Pour le mieux ou pour le pire. Il y a beaucoup d'ouvriers à Belleville, mais il y a aussi beaucoup d'autres genres de monde. Le brave et honnête gars y côtoie sans étonnement le souteneur soupçonné des plus affreuses besognes. La mère de famille fait le queue chez le boulanger derrière la pierreuse en ne trouvant en ça rien qui ne soit tout à fait dans l'ordre des choses.
On n'a pas besoin de mettre des écriteaux sur les maisons [...] pour spécifier qu'ici est une maison honnête. Tout le monde se connaît et tout le monde se permet de vivre, sauf...
Sauf à la nuit tombée, lorsque les ruelles deviennent désertes et lorsque, seuls, de rares bistrots ouverts prennent parfois des physionomies de coupe-gorge.
C'est alors que les passants attardés prennent bien des risques et que le nom riant de Belleville prend soudain des sonorités de drame. La sœur siamoise (je tiens à ma petite trouvaille) Ménilmontant, à un peu des toutes ces contradictions, mais réellement bien peu.
Ménilmontant comparée à Belleville, fait un peu comme une parente calme, douce et en quelque sorte poétique. Il y a de la joliesse partout, depuis le boulevard de Ménilmontant en grimpant jusqu'à la rue des Pyrénées. Là vivent quatre vingt dix pour cent d'ouvriers, de vrais artisans, de vrais humbles qui représentent une des plus saines couches du peuple de Paris. On a chanté Ménilmontant sur tous les tons. J'ai, et c'est bien normal, voulu aider à poétiser en chansons mon village.